> Les Médias Francophones Publics (Les MFP) rassemblent dix groupes de médias, dont six opérateurs de radios publiques. Radio France occupe une place historique au sein de cette organisation. Comment voyez-vous le rôle des MFP en Europe et dans le monde ?
Aujourd’hui, la communication est dominée par de nouveaux acteurs internationaux qui transfèrent à leur profit une grande partie des ressources qui allaient jusque-là à la radio et à la télévision. Mais ces acteurs ne financent pas la production et la création francophones. A l’inverse, les médias publics constituent le premier soutien financier de la création audiovisuelle et culturelle dans chacun de nos pays. Ils sont ainsi les garants de la projection de nos identités et de nos valeurs dans l’univers numérique.
S’agissant des médias francophones publics, ils sont en outre porteurs de notre héritage linguistique, politique, intellectuel, de notre mémoire partagée, donc de notre identité. Face aux moyens de diffusion et de rayonnement dont disposent les géants du numérique, nos atouts gagnent à être mis en commun, et à être renforcés par des stratégies communes, des développements coordonnés et des productions partagées. C’est pour moi le sens des Médias Francophones Publics.
Le rôle des MFP est aujourd’hui essentiel dans chacun de nos pays, dont la France, comme vis-à-vis du reste du monde. La francophonie est partout associée aux Lumières et aux idéaux de progrès, de l’émancipation de l’homme, pour construire un monde de dialogue et de compréhension mutuelle, contre les fanatismes et les obscurantismes de toutes sortes.
PDG de Radio France depuis avril 2018, Sibyle Veil est membre de l'Assemblée de direction des MFP. (Photo : Christophe Abramowitz / Radio France)
> Quels avantages les médias membres des MFP peuvent-ils tirer de leur association ? Quels messages peuvent-ils adresser aux autres médias ?
Alors que nos entreprises sont toutes engagées dans de profondes transformations, le premier avantage que nous pouvons tirer des MFP est de nous éclairer les uns les autres par les expériences que nous menons, qu’elles soient réussies ou non. Nous gagnons beaucoup de temps en comparant nos méthodes de travail et les transformations que nous parvenons à mener pour répondre aux nouveaux défis du média global.
Cette concertation à la fois stratégique et pratique est source de nombreux enseignements sur le bouleversement que le numérique entraîne : d’une part, les usages et habitudes de nos publics évoluent très rapidement et, d’autre part, la forme des émissions et programmes que nous produisons pour répondre à leurs besoins s’adapte en permanence.
Il faut bien comprendre que cela ne change en rien l’inspiration de nos programmes, ni les principes qui les animent : ce qui change, c’est leur rythme, leur forme, la manière dont ils sont coupés ou encapsulés pour circuler sur les nouveaux réseaux, la manière dont ils intègrent une relation avec le public, voire autant que possible une expression du public. Ce qui change, c’est aussi la manière dont ils sont référencés sur les moteurs de recherche, dont ils sont repérés par les assistants personnels vocaux et dont ils peuvent circuler sur les réseaux sociaux.
Le bénéfice que nous tirons de nos travaux communs, c’est que nous gagnons du temps et que nous accélérons notre transformation pour passer au média global.
Tout cela nous impose des innovations qui touchent aussi nos organisations et nos méthodes de travail. En ce sens, les travaux communs qui sont menés au sein de chaque commission des MFP sont précieux, car en leur sein ce sont les responsables éditoriaux ou techniques de chaque direction qui dialoguent et confrontent leurs expériences, les méthodes et leurs innovations. Sans même parler des productions réalisées en commun, qui bénéficient des avancées à la fois techniques et éditoriales de chacun des membres qui y participent.
En un mot, le bénéfice que nous tirons de nos travaux communs, c’est que nous gagnons du temps et que nous accélérons notre transformation pour passer au média global. Les médias publics ont toujours été innovants : ils peuvent se le permettre parce que leur financement public les autorise à prendre des risques, à défricher des marchés dont le modèle économique n’est pas encore stabilisé, voire à offrir des services que les médias commerciaux n’offriront jamais, parce qu’ils répondent aux besoins de publics trop étroits ou pas intéressants pour les annonceurs.
Les médias publics sont les médias de tous les publics et le numérique doit aussi nous permettre de nous tourner vers chaque public d’une manière plus fine et plus spécifique. L’une des innovations sur lesquelles nous devons être précurseurs, c’est l’intelligence des «datas», pour mieux servir les attentes de chacun tout en restant force de proposition et source de découvertes.
> À court ou moyen terme, y a-t-il selon vous des chantiers prioritaires pour Les Médias Francophones Publics ?
Le chantier des «datas», justement, c’est-à-dire des données associées aux programmes, est un chantier très important pour Les Médias Francophones Publics dans les prochains mois et les prochaines années. Nous devons ensemble réfléchir à la manière dont nos émissions vont être accessibles demain à travers toute la Francophonie, grâce aux informations qui permettront à tous les francophones de les retrouver, en fonction de leurs attentes et besoins propres, sur tous les réseaux de communication.
De manière générale, l’atout des Médias Francophones Publics est aussi d’associer étroitement les radios et les télévisions francophones, et nous devons y puiser une dynamique. Par exemple, la réflexion sur les podcasts radiophoniques peut être utile aux chaînes de télévision et aux producteurs qu’elles font travailler, afin de réfléchir à une adaptation audio des séries ou des fictions… qui pourraient trouver leur public sous forme de podcasts natifs.
À l’inverse, les radios doivent intégrer le savoir-faire des télévisions pour proposer la mise en image des émissions la plus légère et fluide possible. Le studio que nous avons aménagé pour franceinfo lors du lancement du média global de l’information avec France Télévisions, France Médias Monde et l’INA, a beaucoup bénéficié de l’expérience de la RTBF, qui avait en la matière un train d’avance.
L’atout des MFP est d’associer étroitement les radios et les télévisions francophones, et nous devons y puiser une dynamique.
Je suis particulièrement heureuse à cet égard que la première des Rencontres des commissions Programmes audiovisuels, à la fois fictions, documentaires, jeunesse et numérique, soit organisée à Radio France en février 2019 : ce sera l’occasion de faire mieux connaître à nos collègues de l’audiovisuel les atouts spécifiques qu’ils peuvent trouver à la Maison de la radio, genre par genre !
De même, en termes de distribution, la mise au point d’un player commun entre radios publiques et privées est un chantier qui a déjà été mené à bien dans certains pays, francophones ou non, et qui montre bien dans quelle dynamique de coopération nous devons aujourd’hui nous placer face aux offres des multinationales du numérique, qui risquent de noyer nos contenus spécifiques dans un flot indifférencié.
Là encore, nous serons plus forts si cette démarche, nous la conduisons ensemble pour défendre des programmes de qualité et favoriser réciproquement l’exposition et l’accessibilité de nos meilleurs programmes dans l’espace de la Francophonie.
Car l’autre chantier auquel il nous faut désormais réfléchir, c’est la manière dont nous devons envisager la distribution numérique des programmes et contenus francophones à l’échelle mondiale. L’échelle d’une zone linguistique, qui compte déjà plus de locuteurs dans les pays du Sud que dans les pays du Nord, et sur tous les continents ! Une zone linguistique où la France n’est plus le premier pays utilisateur du français… ce qui doit nous donner un peu de modestie et nous inciter à mieux penser dans l’avenir la dimension internationale de nos médias.
Propos recueillis par Marie-Christine Vallet (Radio France)
Photos : Christophe Abramowitz (Radio France)